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 Loin de la foule citadine, il se plut à noter, dans la solitude, les variations de la vie végétale : vocalises des pins à la moindre brise, changements de la robe des oliviers sous le mistral, haleines des violettes et des jacinthes à la saison où, dans le Nord, les champs sont encore engourdis d'un sommeil hivernal.
En présence de ses sociétés d'arbres, de plantes, de fleurs, évoluant sans récriminations et simplement, M. Cougourdet se reposa en profondeur de ses trente années passées dans la société des hommes en présence de ce que celle-ci a de plus complexe, de plus artificiel, de plus âpre : la bureaucratie.
Cependant il avait compté sans ce besoin de la nature humaine qui la pousse à s'agglutiner à ses semblables. La solitude lui pesa bientôt au point de circonscrire ses promenades dans la ligne des remparts toulonnais. Cependant, il fut assez prudent pour ne satisfaire son instinct social que dans la limite des spectacles paisibles. C'est ainsi qu'on le vit souvent au Jardin de la Ville. Assis sur un banc, il suivit, amusé, les évolutions de cette fraction de l'humanité que la société tient encore en dehors de son activité trépidante et de ses luttes féroces : les enfants, les nourrices et les gardiens de square.
Mais le Jardin de la Ville n'est pas loin de la place Saint-Roch. M. Cougourdet s'y laissa entraîner par la pente naturelle du terrain. Là, il participa à la double haie des spectateurs qui entourent les vastes parties de boules longuement disputées sur cette place. Il s'intéressa au pointeur qui, de sa boule ferrée, tâte le sol avant de la lancer sur la piste du bouchon. Il admira le geste athlétique du tireur qui, dans l'élan des trois pas, projette sa boule sur celle de son adversaire. Il se sentit revivre au milieu des discussions parfois très vives qui éclatent soudain entre les équipes   opposées.
Revivre !...; car, sous des habitudes paisibles et modestes, M. Cougourdet avait une âme qui aisément aurait pu devenir ardente et ambitieuse si les circonstances lui avaient été favorables. Ainsi, à dix-sept ans, il avait décidé de décrocher brillamment ses bachots et d'entrer à Polytechnique. Il s'était mis avec opiniâtreté au travail ; mais ses forces intellectuelles n'étaient pas à la mesure de ses désirs.
 

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