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LA FILLE DE MONSIEUR COUGOURDET
ANDRÉ MARTEL

Chapitre 1
Si, pendant trente ans, M. Cougourdet avait passionnément désiré la retraite, jamais il ne s'était posé cette question : que ferai-je alors ? En effet, y avait-il lieu de se demander pareille chose ? Quand on est à la retraite n'est-ce pas naturellement pour ne rien faire ? Il exceptait de cette règle les retraités qui, sans revenu personnel et n'ayant qu'une maigre pension, sont obligés, pour élever encore un ou deux enfants, de chercher dans un petit emploi un complément de cherté de vie, comme on dit en style administratif.
Mais M. Cougourdet, bien qu'il eût à sa charge sa femme et sa fille, n'était pas dans ce cas. Il possédait, là-haut, à Solliès-Ville, quelques petites maisons, au bon soleil, qu'il louait un bon prix aux hivernants; dans la plaine, il avait aussi un large morceau de terre; et sa femme, orpheline aisée, lui avait apporté un joli paquet de rentes sur l'État. Tout ceci s'ajoutant à sa pension de chef de bureau de la mairie de Toulon, il avait pu dire avec vigueur :
          - Un retraité qui travaille, c'est un non-sens.
Et il s'était bien promis de ne pas commettre ce non-sens.
Cependant ce n'était pas sans un peu de mélancolie qu'il pensait au bel apéritif d'honneur qu'on lui avait offert, samedi dernier, dans les salons du Café de la Méditerranée à l'occasion de son départ à la retraite. Quelle foule, mes amis ! Il y avait l'adjoint Nazole, représentant le Maire de Toulon. Et M. Nazole, retraçant en termes élogieux la carrière administrative de M. Cougourdet, lui exprima ses regrets de perdre un collaborateur si consciencieux, et lui souhaita un repos mérité par trente années d'un dévouement inlassable à la chose publique. Il y avait Tontaine, un commis à la comptabilité municipale qui, à force de contempler la plus belle rade du monde du haut, des fenêtres de son bureau (4e étage), était devenu poète. Et Tontaine adressa, en vers, au nouveau retraité, ces souhaits de santé et de bonheur :
          "Oh ! conserve tes dents pour rester gaillardet .
          Mon cher Baptistin Cougourdet !" .

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